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Entre solitude et connexion

Entre solitude et connexion

Entre solitude et connexion

Rocklands, Afrique du Sud

Tout et n’importe quoi pour ne pas écrire! Et pourtant, au fond de moi, je sais que je finirai bien par me remettre à l’ouvrage. Alors pourquoi tant de résistance, de chemins de traverse, pour qu’au final coulent ces quelques mots qui dévoileront enfin mes pensées vagabondes et mes émotions évaporées depuis déjà bien longtemps. Ce n’est qu’un mélange gazeux auquel je m’accroche pour qu’il ne s’envole pas. Juste le temps de le saisir, de le modeler et de le coucher là.

Cette traversée du Moyen-Orient, de l’est et du sud de l’Afrique en 4x4 m’amena, d’une manière qui me surpris je l’avoue vers un isolement profond et un attachement à ma pensée. Et comme je continuais ma quête d’aventure, d’amour et de vie sans trop n’avoir définit en quoi cela consisterait vraiment, je me trouvais pris entre le monde du rêve et celui du voyage. Tel le poète se heurtant à la froide réalité du monde, je tentais désespérément d'y faire apparaître quelque chose d’excitant, de valable à mes yeux, ou peut-être à mon âme. Mais quoi ? Si seulement je savais le définir un peu plus précisément, aurais-je pu orienter ce somptueux saut de l’ange vers des eaux plus fertiles à mon épanouissement. Lentement, je m’attardais sur ce noeud puis mon esprit donna naissance à d’autres noeuds qui m’occupèrent tous à mes heures perdues dans ce royaume gazeux qu’est la pensée. J’étais bien là, à chaque moment, vivant et conscient, j’interagissais avec le monde extérieur et pourtant ne pouvais ignorer cette sensation de flottement et de déconnexion qui me donnait l’impression de traverser l’espace et le temps sans le toucher. Peu à peu, je m’enfermais à l’intérieur de moi-même et m’occupais de plus en plus souvent de mes noeuds sans bien sûr n’arriver à aucune conclusion, ni progrès. Et puis à force d’aiguiser mes pensées, je finis par me couper avec en plusieurs endroits. Alors que j’observais les autres autour de moi en découdre avec la vie, une petite voix apparut dans ma tête: “si tu étais plus comme ceci, tout serait plus facile” ou encore “tu vois ceci arrive car tu es comme cela”. A force d’avancer sur ce sentier, je finis par perdre goût à ma vie et il vint même une période ou chaque matin au réveil les premiers mots qui retentirent en moi murmurèrent doucement “je n’en peux plus”. Le voyage en soi n’était pas si dur, au contraire il était plus facile que prévu, mes émotions pourtant semblaient se perdre dans un sombre tourbillon insensé. J’avais choisi ce que je faisais et cela ne me comblait pas! Ce constat me rendait taciturne. Bientôt, j’oubliais qu’il y avait des choses que j’aimais profondément dans ce monde. Puis, je me sentis progressivement submergé par une vague impression de ne plus savoir qui j’étais. Les rencontres me stimulaient peu, la nourriture me semblait plutôt fade et mon corps manquait cruellement d’exercice. Un phénomène étrange se produisit, c’était comme si la limite entre mon subconscient et mon conscient s’affina tellement que le premier débordait dans le second. Devenu mon propre inquisiteur, chaque pièce du puzzle qui me constituait était sujette à l’observation et au jugement. Les paroles de certaines personnes avec qui je passais du temps me touchaient désormais plus profondément. Une à une, j’enterrais ces émotions au fond de moi-même jusqu’à ce que se forme un un trop-plein. Mon état dysfonctionnel transformait de simples activités comme refaire mon stock de nourriture en une errance pleine d’indécisions. Toutes ces émotions contenues s’accumulaient et faisaient monter la pression à l’intérieur de mon être jusqu’à la limite de l’implosion. Un jour où je reçu un appel, je décrochai et les premiers mots que j’entendis furent “Hey, I miss you! I miss talking to you!” (trad. Tu me manques. Ca me manque de te parler.) De chaudes larmes se mirent à couler sur mes joues d’une façon qui ne s’était pas produite depuis bien longtemps. Non pas que je me considère comme un dur, au contraire, mais il y a des habitudes qu’il vaut mieux ne pas acquérir trop vite lorsque l’on a la fâcheuse tendance à s’élancer éperdument sur des sentiers difficiles.

Ce n’était pas la première fois que je passais par ce cycle qui heureusement finissait toujours par me ramener vers un état plus fort, pleinement serein, heureux et reconnaissant d’être en vie. C’est en somme le choix conscient d’affronter des épreuves que rien ne justifie au premier abord si ce n’est cette inexplicable force d’attraction qui ne nous laisse, nous, jamais tranquille. Il semblerait qu’il existe un certains nombre de personnes qui n’ont jamais eu si mal à la vie qu’elles auraient songé à se l’ôter. J’avoue n’y avoir jamais songé avec sérieux pourtant il m’est arrivé plus d’une fois de contempler l’idée avec une certaine curiosité. Cette fois-ci, je me rendais vraiment compte à quel point le mental, l’état d’esprit, change tout. Et ma compassion pour ceux dont la santé mentale leur fait parfois faux bond en fut encore grandie. Les liens que l’on tisse avec certaines personnes, ce sentiment d’être à sa place dans une communauté dont les âmes vibrent à l’unisson pour des valeurs proches et qui nous donne la liberté d’être pleinement nous-même, tout ceci contribue fortement au bonheur. Pour peu que l’on puisse lâcher prise sur nos désirs de vivre quoi que ce soit de spécifique, je pense que le bonheur s’arrête pas loin de ça. Se nourrir selon l’adage mens sana in corpore sano (un esprit sain dans un corps sain) et surtout s’oublier soi-même de temps à autre pour se mettre au service des autres. Pour cette raison, le temps que je passais à travailler comme volontaire dans un hostel de surfeurs en Namibie me remit d’aplomb. J’étais forcé de constater à nouveau que la pratique intensive d’une activité comme le surf est un remède efficace contre la confusion mentale qui m’envahit parfois. Quel plaisir d’atteindre à nouveau cet état où l’esprit est totalement clair et l’humeur à son apogée!

Alors que je passais à nouveau du temps à socialiser, mon besoin de solitude refit surface et tel le pendule d’une horloge oscillant d’un extrême à l’autre, entre solitude et connexion, je finis par sentir précisément l’endroit où l’arrêter. A ce point mort, défiant les lois de la physique, je me sentais finalement bien. Aussi, c’est durant ce voyage que je compris vraiment une chose. Car je suis persuadé qu’il n’y a qu’une seule manière de vraiment comprendre les choses. C’est de les vivre, de comprendre par l’expérience vécue. Je compris que peu importe les sommets que je pourrais atteindre, peu importe les richesses que j’accumulerais, tout ceci n’aurait aucune importance si ce n’était que pour moi-même dans un royaume que j’aurais fabriqué de mes propres mains, un magnifique château avec un seul trône pour son roi et sa cour déserte, un royaume de pierres froides et lugubrement vide malgré ses beaux jardins.

A tous ceux qui s’élancent sans cesse de manière inexplicable sur des chemins hasardeux, sachez qu’il vous sera toujours bon de croiser la route d’autres comme vous. Néanmoins, seul ce qui vient de votre intérieur peut faire naître sur cette terre ces rêves flous qui vous habitent car il n’y a en ce monde de paradis tel que vous vous l’imaginez – entendez-moi, j’ai cherché aux quatre coins du monde. Vous êtes le seul créateur possible de votre propre royaume et rien ne vous sera donné facilement. Mais ne désespérez pas, ne soyez pas trop dur avec vous-même car qu’est-ce que la vie sinon une certaine quantité de temps qui vous est allouée ? Tout commence ici et maintenant. Le passé n’existe plus et le futur pourrait bien s’écrouler devant vos yeux ébahis sans le moindre signe avant-coureur. Le reste n’est qu’illusion.



“ Une fois de plus, j’ai côtoyé une vérité que je n’ai pas comprise. Je me suis cru perdu, j’ai cru toucher le fond du désespoir et, une fois le renoncement accepté, j’ai connu la paix. Il semble à ces heures-là que l’on se découvre soi-même et que l’on devienne son propre ami. Plus rien ne saurait prévaloir contre un sentiment de plénitude qui satisfait en nous je ne sais quel besoin essentiel que nous ne nous connaissions pas. (…) Comment favoriser en nous cette sorte de délivrance ? Tout est paradoxal chez l’homme, on le sait bien. On assure le pain de celui-là pour lui permettre de créer et il s’endort, le conquérant victorieux s’amollit, le généreux, si on l’enrichit, devient ladre. Que nous importent les doctrines politiques qui prétendent épanouir les hommes, si nous ne connaissons d’abord quel type d’homme elles épanouiront. (…) L’essentiel, nous ne savons pas le prévoir. Chacun de nous a connu les joies les plus chaudes là où rien ne les promettait. Elles nous ont laissé une telle nostalgie que nous regrettons jusqu’à nos misères, si nos misères les ont permises. Nous avons tous goûté, en retrouvant des camarades, l’enchantement des mauvais souvenirs.

Que savons-nous, sinon qu’il est des conditions inconnues qui nous fertilisent ? Où loge la vérité de l’homme ? ”

– Terre des hommes, Antoine de Saint-Exupéry