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La force de l'océan

La force de l'océan

La force de l'océan

Sayulita, Nayarit, Mexico. J’étais arrivé dans ce qui était autrefois un petit village de pêcheurs au bord de l’océan Pacifique. Aujourd’hui transformé en destination touristique pour Gringos, Sayulita se donne des airs de Thailande. Le village de Kuta à Bali, lui conquis par les surfeurs australiens, me vint à l’esprit comme un sosie quasi parfait malgré le contraste évident entre ces deux pays: Mexique et Indonésie. C’est là le triste sort réservé aux endroits trop facilement accessible par un vol de ligne au départ du pays de l’homme blanc, des billets plein les poches, à destination des plages de sable fin et autres escapades où l’on cherche à se sentir en vacances. Ce qui me poussa à y rester deux semaines, était néanmoins tout autre. J’étais venu pour sentir la force de l’océan et ses vagues majestueuses me pousser dans le dos, parvenir jusqu’au rivage et recommencer l’opération jusqu’à ce que l’ennui, une fois de plus, me pousse vers d’autres aventures.

Quelle ne fut donc pas ma déception lorsque, après un bus de nuit de 12 heures, j’atteignis finalement la plage pour y voir se dérouler les unes après les autres des vagues ne dépassant pas un mètre de haut. Pourtant, quelque chose m'y retint finalement plus longtemps que prévu.

Après quelques recherches, je découvris l’existence des deux plages plus au Sud où les vagues atteignent des hauteurs plus dignes de mes ambitions et se brisent avec grandeur grâce à un récif de corail jonché au fond de l’océan. Aussi, les prévisions annonçaient un fort “swell“ pour les prochains jours ce qui, sans aller dans les détails, est exactement ce dont l’océan a besoin pour former de grandes vagues. Après avoir refusé une offre de transport en voiture pour la modique somme de 50$ n’incluant même pas la location d’une planche de surf, je pris le bus local comme tout le monde (où disons plutôt comme ceux qui habitent par là). Deux malheureux billets de bus à 15 pesos chacun (1$) plus tard, je me retrouvai à Punta Mita.

Après un premier jour de surf où il ne se passa rien de vraiment extraordinaire (mis à part le fait que je me coupai les deux pieds en quatre endroits sur le récif de corail, ce qui me fit une bonne leçon et me familiarisa avec la faune locale; oui car le récif est un organisme vivant sur lequel il vaut mieux éviter de poser les pieds ce qui est étrangement plus facile à dire qu’à faire), je louai une planche de surf et me rendis en bus à “Burros Point“. Ce jour-là, toutes les conditions étaient réunies. Il fallait marcher quelques minutes à travers la jungle pour y arriver et, lorsque j’apparus de l’autre coté, j’y découvris une petite plage, des vagues de 2 mètres de haut et une dizaine de surfeurs. J’observai quelque temps afin de repérer la meilleure ligne d’approche pour me frayer un chemin à travers les vagues et atteindre le “lineup“.

La clé, à ce moment là, c’est le timing. Il n’y a rien que puisse faire un simple être humain doté d’une planche de surf bien trop grosse pour pouvoir s’engouffrer sous la force impressionnante des vagues. Il faut donc s’élancer quand l’océan se calme l’espace d'un instant avant de s’acharner à nouveau. Je m’élance. Et j’arrive bientôt presque par miracle derrière le point où les vagues ayant emmagasiné toute leur énergie se brise avec une force qu’on ne peut vraiment saisir que lorsqu’on se la prend sur le coin de la tête. C’est la zone d’impact où il ne fait pas bon rester trop longtemps.

Tout le monde autour de moi semblent être des surfeurs confirmés. Je regarde vers la plage, il y a une falaise sur la gauche, note à moi-même: éviter de se retrouver là-bas. Assis sur ma planche afin de pouvoir sonder l’horizon, les vagues n’arrêtent pas de venir les unes après les autres, sans répit, et toutes de taille plus ou moins égale. Je me retourne vers la plage, me couche sur ma planche, jette un regard rapide par-dessus mon épaule afin de temporiser mon départ et me mets au “paddling“ (un mouvement similaire à la nage crawlée dont le but est de générer suffisament de vitesse pour que la vague nous soulève et nous garde à son sommet).

La vague m’emporte avec une vitesse impressionante et, avant que je n’ai eu même le temps d’essayer de bondir, me retourne et m’envoie par le fond. Ma planche qui est attachée a ma cheville par un “leash“ disparaît je ne sais où alors que la force de l’océan me maintient sous l’eau pour ce qui me semble être une durée interminable. La vague roule au-dessus de moi pendant plusieurs secondes me ballotant comme si je ne pesais rien. Pourtant je sais bien que même les plus grosses vagues ne maintiennent un surfeur sous l’eau plus de 15 secondes. Ce qui rend pourtant ces secondes interminables, c’est la peur. Tenter de décrire la force de l’océan, force de la Nature, par les mots est impossible. Il faut la sentir. Cette force m’entraine encore un peu plus par le fond, ce qui ajoute à ma panique. Lorsque je sens enfin le calme revenir, je me mets à brasser frénétiquement afin de regagner la surface. Ma tête surgit de l’eau et je prends une bouffée d’oxygène aussi grosse que possible car je sais que la prochaine vague n’est pas loin. Je suis dans la zone d’impact. 50 mètres en face, la falaise. À droite, plus en avant et hors de la zone d’impact me regarde un surfeur local. Je me retourne vers les vagues afin d’affronter le danger, tourner le dos aux vagues dans une telle situation serait de la pure stupidité.

La prochaine vague culmine deux mètres au-dessus de ma tête et s’apprête à se briser sur moi. J’ai tout juste le temps de prendre mon souffle avant de subir une fois de plus le même sort que quelques secondes auparavant. Lorsque je resurgis cette fois je panique un peu, comment vais-je pouvoir me tirer de là avec si peu de temps pour récupérer ma planche et “paddler“. Le surfeur m’observe toujours et me lance quelque chose en espagnol qui sonna à mes oreilles bouchées comme :

- Mala!

Mala en espagnol veut dire mauvais, bad ou t’es foutu mon gars! La prochaine vague est déja là tout aussi géante que les précédentes et me rapproche un peu plus de la falaise. Alors je plonge et tente de nager pour grappiller quelques ridicules mètres. Cette fois lorsque je ressors, l’océan semble s’être calmé un peu, moi aussi. Je tire sur ma leash pour ramener ma planche et me mets à “paddler“ hors de là. Loin de cette foutue falaise et direction la plage pour reprendre mes esprits. Il me faudra beaucoup de courage pour y retourner alors que j’observe les goélands plonger à pic entre les surfeurs pour attraper leur butin. Il pleut depuis le début ce qui contribue à un océan tumultueux.

Le surfeur qui s’était adressé à moi auparavant me rejoignis bientôt sur la plage. J’apprends qu’il ne m’avait pas dis “mala“ mais “calma“. Ayant vu que je dépensais toute mon énergie au profit de la peur, il avait voulu me dire qu’il ne restait plus qu’une grosse vague à endurer avant de pouvoir me tirer de là. J’avais appris le plus important: il ne sert à rien de se battre contre la force de la nature. Et, en fin de journée, lorsque je retournai à Sayulita pour surfer des vagues plus modestes et que ma leash se brisa en plein milieu de la zone d’impact, je sus garder mon calme pour nager les 100 mètres me séparant du rivage afin de retrouver ma planche de surf qui s’était envolé vers la plage. Voilà ce qui arrive lorsque l’on loue du matériel bon marché, une leash brisée à Sayulita passe encore mais je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’il serait advenu de moi si ma leash s’était brisée à Burros ce vendredi là !

Après deux semaines, je n’avais peut-être vraiment surfé que deux fois. Les autres sessions ressemblant plutôt à des parties de plaisir. C’est lorsque la force de l’océan se montre plus forte que je trouve dans le surf quelque chose de mystique. Et maintenant, si tout se passe comme prévu, un autre défi m’attend plus au Sud. À suivre...

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“ Il y a une extase qui marque l'apogée de la vie et en constitue le sommet indépassable. Tel est le paradoxe de l'existence: cette extase survient au moment où l'on est le plus pleinement vivant, tout en l'oubliant complètement. Cet extase, cet oubli de la vie, saisit l'artiste élevé et emporté hors de lui-même dans un rideau de flammes; elle saisit le soldat, fou de guerre sur un champ dévasté et refusant de faire quartier; et elle s'empara de Buck, alors qu'il conduisit la meute, poussait l'antique cri du loup, et fonçait derrière la nourriture vivante qui fuyait rapidement devant lui au clair de lune. ”

— L’appel sauvage, Jack London