Explore Beyond Limit
Traversée de l'Atlantique Sud (1/2)

Traversée de l'Atlantique Sud (1/2)

Traversée de l'Atlantique Sud (1/2)

Mercredi 17 Mai 2023
Pelican Point, Walvis Bay, Namibie
A l’ancre

Nous partons demain pour Sainte Hélène. KARAKA, notre ketch de 53 pieds est mouillé près de Pelican Point à Walvis Bay non loin de la fameuse vague de Skeleton Bay (aussi appelé Donkey Bay). J’ai déjà navigué sur ce bateau, je sais qu’il tient bien la mer. Ses 16 mètres et 30 tonnes produisent suffisamment de lest pour qu’on s’y sente en sécurité. Le gréement semble en bon état, la grande voile est neuve et l’état général du bateau m’inspire confiance. C’est un beau bateau avec une coque en acier peinte en noir et deux mâts bordeaux qui pointent vers le ciel. Trois voiles blanches surplombent sa coque noire: génois, grande voile et artimon. Pas de spi.

Notre but: Salvador de Bahia, Brésil. C’est donc une traversée de l’océan Atlantique Sud entre les latitudes 15 et 20 qui nous attends. A dire vrai, je n’ai aucune appréhension pour ce voyage. Au contraire, je suis impatient de le vivre dans toute son intensité. D’une certaine manière cela ne me surprend pas. Après tout, je n’ai point de référence pouvant m'indiquer ce qui nous attends ou qui devrait m’effrayer. Aussi, j’ai déjà pas mal navigué, à commencer par la régate sur le lac Léman sur de petits voiliers monocoques (les Surprise) où, je me souviens, nous avions même démâté durant une course; une goupille de hauban avait cassé dans la tempête sur un virement de bord. Ensuite, les stages Glénans en Bretagne, d’abord deux semaines à l’Île d’Arz puis deux semaines à Paimpol et enfin une semaine en Méditerranée. Et puis j’ai passé mon permis hauturier en Suisse ce qui requiert de passer d’abord le permis voile pour le lac puis un examen théorique pas donné avec beaucoup d’exercices de navigation sur cartes marines. J’avais aussi rejoins un club très sympa à Saint-Prex où l’on me laissait accès à des catamarans et dériveurs et sur lesquels j’ai fait mes premières classes en matière de voile légère. Et bien sûr, il y a trois mois une traversée de Cape Town à Walvis Bay sur le voilier KARAKA. Donc, non, aucune peur pour cette traversée de l’Atlantique. En aurais-je si l’on se lançait dans un passage sous le Cap Horn ? Quelques appréhensions, sûrement, qui me viendrait de mes lectures. J’aurais probablement peur, aussi, si je me retrouvais dans une tempête sur l’océan indien par force 8. Cette peur-là qui survient dans l’instant, est la peur essentielle à la survie, celle qui réveille les sens dans un moment fulgurant où il faut savoir, grâce à l’expérience, garder son sang froid et appliquer une action corrective, si nécessaire. Voilà pour la mer qui reste habituellement dans les esprits comme un environnement inhospitalier et destructeur et dont il faut se méfier. Mais moi je l’aime. Enfin, jusque là je n’ai aucun grief à son égard. Et pour le reste, cela fait longtemps que je n’ai plus peur de l’inconnu.

Pour commencer, ce qu’il faut comprendre c'est que je suis sur ce bateau en qualité d’équipier et non de capitaine. Et cela change tout. Le capitaine porte la responsabilité du bateau et de tout l’équipage sur ses épaules. Tout ce petit monde doit arriver sain et sauf! Toutes les décisions à prendre du début à la fin lui reviennent. Il arrive souvent que la bonne décision ne soit pas forcément évidente au premier abord mais qu’il faille tout de même en prendre une, transmettre les instructions à l’équipage et faire en sorte qu’il mette toute son énergie dans la direction indiquée. Et si, à ce moment précis, le doute habite encore temporairement le capitaine, celui-ci doit être suffisamment habile d’esprit pour que l’équipage ne puisse déceler son indécision. Ceci le temps qu’il rassemble toutes les informations dont il a besoin pour que s’impose la meilleure solution qu’il s’empressera ensuite de communiquer à son équipage. On dit souvent que, sur un bateau, il ne peut y avoir qu’un seul capitaine et c’est vrai. Certains sujets peuvent évidemment être discutés en groupe mais la décision finale doit revenir à une seule personne. C’est la condition sine qua none pour qu’un bateau file droit. Et puis, si tout va bien, le capitaine est généralement la personne qui a le plus d’expérience et de connaissance de son navire. L’équipier quant à lui n’a pas à se soucier de quoi que ce soit si ce n’est de sa capacité à contribuer à la bonne marche du bateau.

Si appréhensions il doit y savoir, celles-ci seraient plutôt liées à la vie à bord. Sept personnes confinées dans un espace restreint pendant plusieurs semaines. Cette première étape nous mènera probablement à cohabiter pendant deux semaines sans jamais quitter le navire. Permettez-moi de vous faire la visite. Je dors dans la cabine avant sur le lit supérieur. Nathan, sur le lit inférieur. Le carré est composé d’une grande table qui voit passer plus de fruits et légumes que de cartes marines. La cuisine consiste en quatre feux de gaz, un plan de travail et un évier pour faire la vaisselle à l’eau de mer. Pas de frigo. Il y a des toilettes, pas de douche. Une grande cabine à l’arrière pour le capitaine Tom et sa copine Emma. Apolline a le lit qui est dans le couloir menant du carré à la cabine arrière. Tiffany et Gunnar dorment sur les deux lits qui se trouvent dans la descente reliant le cockpit et le carré. Il nous reste le pont et c’est tout. Voilà pour la visite des espaces de KARAKA. Bien sûr je pourrais toujours grimper sur la nacelle en haut du mât pour m’évader en cas d’urgence. Ou plus simplement, aller me tenir sur le bout-dehors à la proue du bateau à scruter l’horizon faisant abstraction de tout ce qui se trouve derrière moi. D’ailleurs, j’aime beaucoup cet endroit. C’est aussi dans cet espace à l’avant que j’aime dérouler mon tapis de yoga (quand l’espace n’est pas occupé par le tourmentin). M’asseoir en tailleur me rappelle une vieille photo noir blanc de Moitessier et me met tout simplement de bonne humeur.


Transatlantique Voilier KARAKA


Vendredi 19 Mai 2023

Hier à 18h00 alors que je m’apprêtais à prendre mon quart, à peine avais-je enfilé une chaussure, que j’entends le capitaine crier “Tout le monde sur le pont! On a un problème!”. Le régulateur d’allure qui en temps normal permet de maintenir le bateau sur son cap ne tenait plus que par quelques boulons, les câbles métalliques bâbord et tribord ayant sautés. Le capitaine à l’idée de voir son précieux régulateur filer par le fond fut saisi d’une soudaine panique. Il enfila un harnais et descendit en chaussettes sur la plateforme à l’arrière au ras de l’eau tentant tant bien que mal de sécuriser son précieux régulateur. “Allez me chercher une clé à molette; La boîte à boulons derrière la perceuse à colonne dans la salle des machines; Non pas celui-ci c’est trop petit! Vite il me faut un boulon, vite! J’ai froid!”. Il faut dire que l’eau devait être autour des 15°C et que la nuit s’apprêtait à tomber. Après quelques tribulations, le régulateur était suffisamment bien attaché pour la nuit, maintenu sur les côtés par deux bouts (mot désignant tous types de cordages sur un bateau) et des boulons bien serrés. Le problème enfin résolu, le capitaine remonta transi de froid. L’équipage se pressa de l’aider à se coucher dans le carré et le recouvrit aussitôt de chaudes couvertures. Tiens, voilà une parfaite illustration de mes propos précédents sur la responsabilité qui incombe au capitaine. N’étant pas capitaine, mais ayant tout de même une certaine expérience de la voile et de quelques unes de ses possibles mésaventures, je pu garder mon calme afin de focaliser mon énergie et attention sur la résolution du problème. Je n’ai pas eu à me poser la question des conséquences qu’aurait la perte du régulateur d’allure en plein océan au deuxième jour d’une traversée de deux semaines, ni à me soucier de devoir descendre sous la poupe m’immerger parfois jusqu’au torse dans l’eau glacée sous forte houle. Le lendemain matin, je resserrais à bloc les attaches en “U” sur les cables et nous passions un petit bout en triple pour une sécurité supplémentaire. A 11h00, avec Gunnar, nous installions le foc à l’avant et remettions KARAKA sous régulateur d’allure. Cap sur Sainte Hélène, 295°. Tout va bien.

Samedi 20 Mai 2023

Le capitaine reçoit le bulletin météo: “Ca va continuer à souffler fort”. Nous garderons un ris sur la grande voile et le foc (ce mot désigne une voile d’avant plus petite qu’un génois). La voile d’artimon reste abaissée. Nous filons à 6 noeuds. Le bateau roule généreusement sur ses flancs depuis trois jours sans nous laisser une minute de répit. La pauvre Tiffany a le mal de mer et passe la plupart de son temps sur le pont. Quant à moi, je me sens mieux depuis hier et j’ai grand plaisir à regarder la houle s’abattre sur l’arrière du bateau. Le soleil pointe enfin son nez ce qui contribue fortement à l’humeur générale. Je dors plus souvent dans le carré que sur ma couchette car j’y respire mieux et ça secoue un peu moins. Je partage allègrement mon temps entre lecture de bandes dessinées (Corto Maltese, Thorgal, Les passagers du vent, etc.), podcasts (Making Sense with Sam Harris, Offshore sailing with Paul Trammell), bouquins (Breathe de Rickson Gracie, Cap Horn à la voile de Moitessier, Karma de Sadhguru, Singlehanded sailing tips d’Andrew Evans, World cruising routes et bien d’autres), tenue du livre de bord, écriture de ce journal, cuisine et repos. L’apprentissage du portugais du Brésil, la retouche de photos, le yoga et pranayama (respiration), et la pratique du sextant ont été un peu délaissé pour le moment faute à l’incessant roulis qui me pousse à favoriser certaines activités plutôt que d’autres. Allez, je vais faire un tour sur le pont, saluer le soleil et voir s’il n’y aurait pas, par hasard, une autre escadrille de dauphins qui nous filerait le train!


Transatlantique vue du mât


Dimanche 21 Mai 2023

Un rythme s’installe. Le bateau roule toujours, cap sur Sainte Hélène. Les journées passent de plus en plus vite. Souvent, je n’ai pas faim. Hier, j’ai pris une douche “à la bouteille” (système simple que j’utilisais déjà durant mon voyage en Afrique et qui consiste à percer le bouchon d’une bouteille d’un litre et demi pour en faire une petite douche manuelle). Cela m’a bien revigoré! Il est 08h50 et le bateau se réveille gentiment. Les nouvelles ce matin sont que les toilettes sont bouchées. Ce fait divers semble préoccuper l’équipage…


Lundi 22 Mai 2023

Sur le pont, aux lueurs orangées du coucher du soleil, j’ai relu le chapitre sur Sainte-Hélène de Bernard Moitessier. Dans son “Vagabond des mers du Sud”, il y décrit une “forteresse énorme, massive, hostile avec ses falaises tombant à pic dans la mer, ses éboulis rocheux bordant des vallées étroites, dans lesquelles le vent s’engouffre, augmente de vitesse et semble avoir arraché de la pierre tout ce qui aurait pu tenter d’y prendre racine”. Il raconte aussi, qu’avec Henri, ils s’étaient gavés de poissons perroquets jusqu’à n’en plus pouvoir. De notre coté, nous avons enlevé le ris sur la grande voile et l’avons hissé sur toute sa hauteur. Puis nous avons remplacé le foc par une petite voile de tempête. Le vent a faibli de force 5 à force 3-4 (de 25 à 15 noeuds environ). Le capitaine qui connait bien son ketch - il faut dire que cela fait vingt ans qu’il navigue dessus! - m’explique qu’il ne sert à rien d’envoyer plus de toile sur l’avant. Des rafales à 28 noeuds sont prévues dans la nuit. Et apparemment, la grande voile déventerait de toute façon le génois par vent arrière et cela créerait des turbulences. L’artimon est ferlé depuis quelques jours et nous ralentissons, notre vitesse moyenne est retombé d’un remarquable 6 noeuds à un simple 4 noeuds. En bref, on se traîne un peu! Ce qui m’occupe l’esprit depuis quelques heures c’est que de ma lecture de Moitessier je retiens que, sur son ketch Joshua, il semble envoyer beaucoup plus de toile dans les alizés (voile d’avant, grande voile et artimon). Ce n’est pas le même bateau bien sûr, Joshua est un peu plus court et les surfaces de voiles ne sont pas les mêmes. Et je fais confiance à Tom mais je ne peux m’empêcher de me faire la réflexion suivante: si j’avais mon bateau, je pourrais essayer d’envoyer la voile d’artimon, le génois et la grand voile par 15 noeuds afin d’observer l’effet sur le bateau, comprendre par moi-même ce qu’il se passe et ainsi acquérir le ressenti et l’expérience qui fait un bon capitaine. Tom lui est déjà passé par là mais pour moi, il me faudra mon bateau. Pour cette traversée, je m’en remets au capitaine.


Transatlantique Voilier Karaka (voiles en ciseaux)


Mardi 23 Mai 2023

La journée de hier fut magnifique. Tout d’abord, grand soleil. Quel bonheur! Et puis le vent a encore faibli et nous avons placé le génois sur tangon pour mettre les voiles en ciseaux (génois maintenu sur bâbord amure et grande voile sur tribord amure). Le voilier file sur l’eau avec ses deux voiles gonflées qui le tirent par l’avant, c’est très beau. Puis nous avons attrapés deux bonites (gros poisson de la famille du thon) avec nos lignes de traînes. Un superbe poisson au dos bleuté. Tom a découpé le premier sur le pont et lui a levé les filets. Il m’a montré comment faire et j’ai eu plaisir à découper le deuxième. Il devait bien y avoir 4 kg de chair rouge que nous avons divisé de la manière suivante. Une partie fut découpée en morceaux que l’on passa dans du fil et que l’on attacha sur le pont du bateau afin qu’il sèche à l’air de la mer. Une autre partie fut transformée en ceviche que nous garderons pour les prochains jours. Le reste fut divisé en fines lamelles façon sashimi que nous engloutirons aussitôt et en morceaux que nous ferons revenir légèrement à la poêlele soir même. A déguster sur un bol de riz nature avec une pointe d’huile de sésame, de sauce soja, de citron et une pincée de sel. Un délice!


Transatlantique Pêche Bonite Marc


Transatlantique Pêche Bonite Marc - Préparation du poisson


Jeudi 25 Mai 2023

Sous le soleil, KARAKA poussé par le faible vent de ces derniers jours, nous nous sommes jetés à l’eau à l’arrière du bateau. Un long bout trainant dans son sillage nous permettant de nous y agripper afin de se laisser traîner au milieu de l’Atlantique. Infini grand bleu à l’horizon. La poupe noire du bateau pirate KARAKA qui s’élève incessamment pour toujours replonger avec force juste devant mes yeux. Je glisse au milieu des remous à contempler l’immensité de l’océan “vue d’en bas”. Altitude zéro au niveau de l’océan. Je ressentis une émotion connue. Une sensation proche de celle qui nous envahit lorsque l’on escalade une courte paroi peu technique sans être encordé. Confiant dans notre agilité, totalement concentré et pourtant, l’on sent tout de même l’odeur du danger. C’était un peu pareil, même si je savais que je pouvais facilement nager à la vitesse du bateau et rattraper la plate-forme à l’arrière, je sentais l’attraction inévitable du grand bleu qui, semble-t-il, aimerait bien me happer. Tout comme le vide de la montagne appelle fortement l’alpiniste qui lui se débat pour aller vers le haut. Finalement, un grain nous apporta le vent. Avec un petit réglage du foc que je m’amusai à trouver, le bateau filait maintenant à 6-7 noeuds. Puis nous avons opté pour un meilleur cap. Nous descendîmes le foc au profit d’une trinquette à l’avant et bonnette sous la grande voile ce qui nous mena à un rythme de croisière de 5 noeuds, cap sur Sainte-Hélène, 295°. A ce rythme, nous arriverons dans quatre jours soit lundi. Je ne suis pas pressé.


Samedi 27 Mai 2023

Non, je ne suis pas pressé. Ou plutôt, devrais-je dire, je ne suis plus pressé. C’est fou cette évolution que m’a amené cette “traversée du désert”, cette tempête émotionnelle qui me saisi entre l’Iran et la Namibie soit durant un an environ. Ce fut une année difficile, d’une certaine manière j’avais touché le fond, une sorte de plancher émotionnel duquel j’eus beaucoup de peine à rebondir. Non, je ne veux pas dire par là que je n’ai jamais été heureux durant cette période. Je l'ai été. J’ai traversé la péninsule arabique, voyagé pour plusieurs jours avec un couple de suisses allemands qui sont devenus mes amis, et puis je suis tombé amoureux, nous avons traversé l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie à trois (Elle, moi et sa chienne Nana), Nana a donné naissance à huit chiots, j’ai me suis fait arrêter par la police à l’Est d’Harar dans la région somalienne de l’Ethiopie (lire mon texte Arrested by the somali militia), ce jour là j’ai eu peur pour ma vie et je me suis senti comme Mike Horn lorsqu’il fut prisonnier et jeté dans une case en Afrique centrale, moi aussi on m’avait jeté dans une case sans me dire ce que l’on allait faire de moi sans me réconforter même d’un seul mot d’anglais, mon passeport et mon téléphone confisqués alors que l’on dépouillait tranquillement ma voiture, un jeune homme gardant l’entrée de ma hutte en pointant le canon de son AK-47 sur moi pour être sûr que je me tienne tranquille, puis j’eu milles problèmes mécaniques au Kenya et me laissa envahir par les méandres de l’imagination, que se passerait-il si je ne pouvais pas réparer ma voiture sachant qu’elle était sous carnet de passage, qu’elle ne démarrait plus et qu’on ne pouvait donc pas faire de diagnostic fiable, finalement la Tanzanie et Zanzibar où j’eu encore des problèmes dont je ne peux me tenir que seul responsable, ensuite la Zambie m’apporta un mieux et puis une mauvaise fréquentation vint torpiller tout ça, finalement en Namibie je pris soin de moi et tout se remit en place lentement. Tout de même, ma chimie intérieur n’a rien à voir durant ce passage avec celle qui m’habitait lors de notre précédent passage avec KARAKA, de Cape Town à Walvis Bay. Aujourd’hui, je ressens une paix intérieure totale. Je ne désire rien du futur et ne changerais rien au passé. Ce passage-ci me comble. J’écris enfin sans effort. Je lis sans avoir à mater mon attention. Je contemple les vagues amenées par la houle qui soulèvent sans répit la proue du bateau. Je médite en regardant les étoiles durant mon quart de nuit. J’ai perdu l’intérêt de m’encombrer de trop d’informations inutiles comme certains livres audio que j’avais téléchargé. J’ai lu “Yoga: the Iyengar Way”  de Silva Mehta et “Karma: a Yogi’s guide to crafting your destiny” de Sadhguru. Je fais du yoga au moindre rayon de soleil et lorsque le bateau ne roule pas trop. Je cuisine pour l’équipage quand l’envie me prend. Et si je suis fatigué, je m’allonge. C’est tout. Bien sûr, j’ai encore du plaisir à user de mon imagination. Je l’utilise pour visualiser des desseins heureux qui s’ils se réalisent tant mieux et sinon tant pis. Je m’imagine capitaine de mon propre bateau à faire le tour du monde par les trois caps. A m’arrêter dans les recoins du monde peu explorés, faire toute sortes de rencontres inattendues. Ou simplement je me vois, au Brésil, m’entraîner avec sérieux au jiu-jitsu brésilien et obtenir ma ceinture bleu, surfer de belles vagues déchaînées et ne faire qu’un avec l’océan, tomber encore une fois amoureux d’une femme belle, fascinante, que j’aime et qui m’aime. Parfois, dans mon imagination, je n’ai plus d’argent, alors j’use de tous les ressors pour gagner mon pain. Parfois j’écris des livres, de profonds poèmes ou vend mes clichés pris autour du monde. Tout ceci n’est qu’un jeu de visualisation qui pourrait prendre n’importe quelle forme. J’ai du plaisir à visiter ce monde de l’imaginaire mais je n’en suis plus l’esclave. Si rien de tout ceci ne se passe, je vivrai heureux. Le simple fait d’être vivant est une expérience magnifique. Saviez-vous que je suis une manifestation de conscience unique qui n’a jamais existé par le passé et ne se reproduira jamais plus (et vous aussi). Et puis, je suis libre! N’ai-je pas toujours voulu être libre? Après tout, si tout se casse la gueule, je serai tout aussi libre de m’en extirper. Tout ira bien, je le sens.


Transatlantique Lever de Soleil Horizon - Aube


Il semblerait que nous arriverons à Sainte-Hélène lundi. Dimanche, lundi, mardi, la semaine prochaine, peu m’importe. Je me réjouis simplement de voir à quoi ressemblera cette forteresse posée sur l’eau juste au dessus du 16ème parallèle. Nous contournerons l’île par le nord afin d’accéder au mouillage qui se trouve au nord ouest en face de la capitale Jamestown.


Transatlantique Coucher de Soleil Horizon


Lundi 29 Mai 2023

Il est 07h17, j’aperçois Sainte-Hélène dans l’obscurité de la nuit. Le soleil ne devrait pas trop tarder à se lever. Nous sommes restés à l’heure de Walvis Bay mais comme nous avons déjà traversé deux fuseaux horaires, il est en réalité 05h17. J’ai hâte de découvrir cette île sous les premières lueurs de l’aube. Nous jetterons peut-être l’ancre dans la baie. Je suis encore à moitié endormi mais j’ai tenu à me lever à l’aube pour ce premier contact visuel avec la terre. Treize jours sans terre.

Le soleil n’est pas au rendez-vous mais l’île est fidèle à la description de Moitessier, une montagne qui sort de l’eau avec ses falaises tombant à pic. Nous n’aurons pas à jeter l’ancre. Je fais un plongeon depuis la proue, une amarre à la main, nage jusqu’au corps mort et passe le bout dans l’anneau. L’eau est presque chaude, ça me change de Cape Town! En grimpant à bord du bateau, je me rends compte que tout le coté droite de mon torse m’irrite, aurais-je touché une méduse ou une algue urticante? Un peu de vinaigre calme l’irritation pour un moment mais “aïe!” mon pouce. Le vinaigre me signale que je me suis aussi entaillé le pouce dans la manoeuvre, sûrement les coquillages sous la bouée lorsque j’ai démêlé le bout. Décidément, je n’irai pas me frotter au corps-mort la prochaine fois. Vers 11h, le bateau flotte calmement au mouillage de James Bay avec une petite dizaine d’autres bateaux. J’ai hâte d’aller à terre pour explorer cette île mystérieuse…


Transatlantique Sainte Hélène - Approche


Transatlantique Sainte Hélène - Equipage Crew


“ Je désirais ardemment avoir de lui quelque récit,
désir naturel chez tous les hommes
qui voyagent et écrivent. ”

– Un héros de notre temps,
Mikhaïl Lermontov